
NUMERO ART / 15 Février 2021
À 30 ans, Jean Claracq s’inscrit dans la nouvelle garde de la peinture figurative tout droit sortie des Beaux-Arts de Paris. Minutieuses et énigmatiques, ses peintures évoquent autant le Flamand Jan van Eyck que le photographe canadien Jeff Wall et leurs personnages ultra-contemporains incarnent avec finesse les attitudes de la mélancolie moderne. Après avoir eu carte blanche à la Fondation Louis Vuitton puis signé l'affiche de l'édition 2021 du tournoi Roland-Garros, l'artiste présente jusqu'au 10 avril une sélection d'œuvres inédites à la galerie Sultana. Portrait.
“Au ras du tableau, que cherche son spectateur et qu'y trouve-t-il? [...] Et que se passe-t-il quand, soudainement ou progressivement, le spectateur s’attache au détail ou quand un détail l’appelle?” se demandait l’historien de l’art Daniel Arasse il y a près de trente ans. Minutieuses et énigmatiques, les peintures de Jean Claracq sonnent comme une réponse directe à ce questionnement esthétique. Dans l’œuvre de cet artiste français, tout est réduit : les villes et les objets tiennent dans le format d’une carte postale, et les jeunes hommes deviennent les figurines de ce monde en miniature. Alanguis par l’attente ou le repos, perdus dans leurs pensées, ces derniers apparaissent tantôt les yeux rivés sur l’écran de leur smartphone ou de leur ordinateur portable, tantôt mus par leur errance dans des allées désertes.
Aux côtés d’autres artistes de sa génération, à l’instar de Nathanaëlle Herbelin, Apolonia Sokol ou encore Simon Martin, Jean Claracq s’inscrit dans une forme de nouvelle garde de la peinture figurative tout droit sortie de l’École des beaux- arts de Paris. Nés entre la fin des années 80 et le début des années 90, ces artistes milléniaux ne craignent pas de se mesurer aux grands maîtres et chefs-d’œuvre de l’histoire picturale, ni d’imprégner leur pratique de références aux mass media, à la pop culture et à la déferlante d’images qui caractérise notre époque post-Internet. Un héritage pluriel que Claracq revendique en faisant référence aux peintures médiévales ou à des peintres comme Jan van Eyck et Hans Memling, qu’il imite d’ailleurs en peignant à l’huile sur bois plutôt que sur toile : “Ces peintres flamands du XVe siècle étaient les meilleurs techniciens : aujourd’hui, leurs tableaux sur bois vieux de 500 ans n’ont pas bougé”, justifie-t-il.
À l’âge de 13 ans, Jean Claracq (né en 1991) commence instinctivement à peindre sur des formats 5 x 5 cm puis s’aventure peu à peu vers d’autres médiums et d’autres dimensions. Pour autant, l’artiste revient le plus souvent à la miniature, arguant que celle-ci reflète sa propre échelle du réel. Caractérisées par des couleurs froides et sourdes réveillées par des tonalités vives, des contours très nets et une infime précision des détails, ses peintures incitent à la découverte par l’effort du regard. Afin de jouer avec la perception du spectateur, l’artiste fait d’ailleurs délibérément en sorte que certains éléments ne soient visibles qu’à la loupe ou grâce au zoom d’un objectif.
Car chez Claracq, l’histoire de la photographie n’est jamais loin. Citant Jeff Wall parmi ses références, il assume dans sa pratique cette même position ambiguë entre l’imprévisibilité du réel et la fiction de la mise en scène. Si ses sujets s’apparentent à des scènes intimes du quotidien volées à travers la vitre d’une fenêtre, ils sont en vérité le fruit d’assemblages d’images glanées par l’artiste qui composent un nouvel imaginaire. Dans ses espaces délimités par des lignes verticales, horizontales et obliques, Claracq crée des mises en abyme où les cadres se trouvent à l’intérieur des cadres, depuis un imposant panneau publicitaire jusqu’au format carré d’une photographie Instagram que l’on discerne, minuscule, au sein d’un écran numérique. Les architectures urbaines quadrillées, que le peintre affectionne tant, se prolongent alors dans les formes qui régissent le champ des images et du numérique pour constituer un même monde orthogonal.
Quant aux personnages, paisibles et nonchalants, ils incarnent avec finesse les nouvelles attitudes de la mélancolie contemporaine : une mélancolie solitaire mais non délétère, produit d’un ennui aux sources inédites, étonnamment ancrée dans les paysages réels ou virtuels de notre époque. Indifférents au spectateur, ces éphèbes absorbés dans leur activité ou leur oisiveté évoquent les scènes de genre peintes en Europe occidentale au XVIIe siècle, tout en se teintant d’un homoérotisme discret. Très tôt dans la carrière de Jean Claracq, un artiste reconnu ira jusqu’à qualifier son travail de “peinture pour pédé” : “Ces mots ont créé un vrai traumatisme, au point que je n’en ai pas parlé pendant cinq ans. [...] Depuis, j’ai appris à me protéger”, explique le jeune peintre. Comme une revanche, la carrière florissante de Claracq l’amenait il y a quelques mois à investir la totalité d’une salle de la Fondation Louis Vuitton pour sa première exposition personnelle. Intitulé Propaganda, son projet inédit est le fruit d’une réflexion de six ans autour des mécanismes de la publicité et de la propagande, matérialisée par une maquette d’architecture blanche dans laquelle sont encastrées cinq de ses peintures – l’occasion d’un énième jeu sur la profondeur et la mise en abyme. “Mes œuvres sont le reflet de quelqu’un qui est face au monde et essaie de le comprendre”, déclare l’artiste. Une affirmation que cette nouvelle installation ne saurait contredire.
Texte par Matthieu Jacquet.
La peinture figurative de Jean Claracq
SudOuest TV7 / Mardi 20 Sept 2022

© Blaise Adilon, le 2 septembre 2022
© Blaise Adilon, le 2 septembre 2022

© Blaise Adilon, le 2 septembre 2022
Jean Claracq - 16e édition de la Biennale de Lyon, 2022

3,6 x 4,6 cm
20 x 27 cm

Il faudrait que je me calme
Mendes Wood DM Brussels.
15 octobre - 19 novembre, 2022


Courtesy Fonds de dotation Bredin Prat
We Paint!, Prix Jean-François Prat,
Beaux Arts de Paris,
24 mars - 24 avril 2022

Collection privée
Collection privée
Collection privée
Jean Claracq, Musée National Eugène Delacroix, Paris, France, October - November 2021
© Romain Darnaud
"L’ultra moderne solitude de Jean Claracq", ARTE
Peintre français trentenaire, Jean Claracq est à rebours de son époque, ce qui lui permet paradoxalement de la mettre si bien en scène dans ses toiles. Il aime plus que tout prendre son temps, mais pour dépeindre des personnages absorbés par les réseaux sociaux et leur culture de l’instantanéité. Ses toiles miniaturisées lui demandent une grande minutie. Elles sont souvent peintes à l’huile sur bois plutôt que sur toile, qui se conserve très bien, à la différence des images piochées sur le net dont il s’inspire pour ses œuvres figuratives. On pense à David Hockney, à Edward Hopper ou à un film de Michelangelo Antonioni.

Painting made for the 2021 edition of Roland-Garros
Interview of Jean Claracq about the creation of the official poster by Jean Claracq | Roland-Garros 2021
Jean Claracq, Galerie Sultana, Paris, France, February - April 2021
© Romain Darnaud


Collection privée
Musée d'Art Moderne

Collection privée
Jean Claracq, "Masculinité", Double Séjour, Paris, France, October 2020

Collection privée
Collection privée
Jean Claracq, "La Hardiesse", La Fondation Agnès B., Paris, France, February - May 2021


Collection privée
Jean Claracq, "J'aime, je n'aime pas", Galerie EIGEN + ART, Berlin, Germany, February - March 2020
Collection privée
Collection privée
Jean Claracq, "Open Space #7", Fondation Louis Vuitton, Paris, France, September 2020 - January 2021
© Aurélien Mole



Jean Claracq, "Imbilicus", Galerie Sultana, Paris, France, June - July 2021
© Aurélien Mole
Collection privée
Collection privée
Jean Claracq, "Mais pas du tout, c’est platement figuratif ! Toi tu es spirituelle mon amour !", Galerie Jousse Entreprise, Paris, France, January - March 2021

Jean Claracq, "Artagon IV - Heading East !", Magasins Généraux, Pantin, France, October - November 2018
Collection privée
Collection privée

Collection privée
GALLERY SHOWS: |
Soft Touch . |
FAIRS: |
Felix Art Fair 2023. Los Angeles, USA Paris+ by Art Basel. Paris, France |
BIO: |
Jean Claracq (b.1991, Bayonne, France) lives and works in Paris. In 2017 he received his MFA from Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris. In 2018, he won the 2eme prix Antoine Marin and the Prix de peinture Roger Bataille. In 2021, he was shortlisted for the Prix Jean-François Prat. Recent solo exhibitions include: 'Jean Claracq', FIAC Hors les Murs, Musée Delacroix (Paris, FR 2021); 'Jean Claracq', Galerie Sultana (Paris, FR 2021); and 'Open Space #7 Jean Claracq', Fondation Louis Vuitton (Paris, FR 2020). Select group exhibitions include: 'Il faudrait que je me calme', Mendes Wood DM, (Brussels, Belgium); 'Group Show', Villa noailles, Hyères; 'Contre-soirée', curated by Rodolphe Parente, Design Parade Toulon; 'Des corps, des écritures',Permanent collection Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris; 'Entre tes yeux et les images que j’y vois', Fondation d’entreprise Pernod Ricard; 'Manifesto of fragility', 16ème Biennale de Lyon, FR; 'My Reflection of You', London, UK; 'Traverser les silences', Dilecta, Paris; 'We Paint!', Beaux-Arts de Paris, 'Des Corps Libres', Reiffers Art Initiatives, Paris; 'Solo Show', Galerie Sultana (2021); 'Open Space' #7 Jean Claracq, Fondation Louis Vuitton, Paris (2020); 'Boys Don’t Cry', Le Houloc (Aubervilliers, FR 2020); 'J’aime, je n’aime pas', Galerie EIGEN + ART (Leipzig, DE 2020); 'Collection Agnès B', La Fondation Agnès B (Paris, FR 2020); 'Umbilicus', Galerie Sultana (Paris, FR 2019); 'Les fleurs de l’été sont les rêves de l’hiver racontés le matin à la table des anges', Praz-Delavallade (Paris, FR 2019); 'Futures of Love', Magasins Généraux (Pantin, FR 2019); 'Mais pas du tout, c’est platement figuratif! Toi tu es spirituelle mon amour!', Jousse Entreprise (Paris, FR 2019); 'Artagon IV, Heading East', Magasins Généraux (Pantin, FR 2018); 'Felicità 18', Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts de Paris (Paris, FR 2018); '100% Beaux-Arts', Grande Halle de La Villette (Paris, FR 2018). |
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